Du désir.

 

Traces, signes, élan des épures : Valentina Chambrin grave et peint comme on s’élance, le geste libre et souple, vers l’inconnu d’un rêve. Elle s’aventure, sans soucis, vibrante, rieuse et pourtant grave : il y a au fond de ses clairs-obscurs l’ombilic d’une quête, une question posée où résonne chaque fois le silence de ce qui ne cesse pas de ne pas répondre, de ne pas s’écrire.

Alors, un corps, au bout du compte, il y a cela, un corps apparu, découpé, tanné, un tronc finement strié, dont au aurait comme tatoué les veines au graphite.

Le corps féminin se profile, tel une image fixe qui, d’avoir hanté l’enfance, étayé les jouissances, éreinté l’attente à force de disparaître, se pose soudain dans sa présence capturée. On ne veut que lui, il devra désormais obéir et subir la flagellation sensuelle et répétée de celle qui grave, encre, ourle et peint sa silhouette.

Voilà. Il est ce qu’on veut, il a cessé de tourmenter, d’obséder la mémoire des affamés, il est ce sein qu’on saurait enfin caresser, ce sein d’une autre chair, celui d’un songe qui n’en finirait plus d’inspirer l’artiste qui pourrait en décliner l’érotique, la hantise enfin apprivoisée. Il y a chez Chambrin le sens du passage et du déplacement. Les images sont fortes, elles s’imposent sans violence, et glissent sans rupture de la figuration à l’abstraction.

Corps ou figures géométriques, bustes scarifiés (Kaos) ou Carrés Magiques, elle voyage d’un sujet à l’autre et semble partout chez elle. Le sein se fera écorce de planète, le carré galet japonisant. Il suffira que la dame y soit, qu’elle décide et compose son Ikebana, et alors même la pierre, à force d’être polie, se fera chair et soie. Une carte du tendre se dessine alors, fil rouge de l’œuvre tendu d’un bord à l’autre, qui éclaire peut-être l’attraction que l’on ressent devant son oeuvre.

«Attention» pourrait-elle nous dire, «ces images contiennent du désir».

Il paraîtrait bien, en effet, que de ces bords, de ces traits qui découpent et délimitent l’impossible frontière entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’intime et le monde, entre le dedans des corps et l’immensité de l’ailleurs, sourdent en secret l’inquiétude de nos manques.

On s’arrête, le doigt posé sur la limite vibrante des ciselures, en suspens, tel un voyageur hésitant qui déplie lentement le parchemin du monde. Alors les corps tendus, comme en attente des traversées, se projettent en avant sur la surface, et c’est cette peau de rêve – comme si c’était aussi la notre – cette peau de rêve tendue comme un tambour que l’on retrouve sur la toile.

L’artiste nous la montre, et la répétition de son geste imprime sans relâche l’ample battement des allez retour, et nous souffle qu’aussi loin que nous allions, qu’aussi vif soit notre élan, c’est «du désir» qui nous trame, et que nos plus beaux voyages, au fond, seraient peut-être ceux du dedans.

 

Isabelle Floc’h